Interview de Rodolphe Delord - Président Directeur Général du ZooParc de Beauval
Le ZooParc de Beauval est le plus grand zoo de France : il représente l’une des plus grandes diversités animalières d’Europe, hébergeant des animaux rares et menacés comme les éléphants, pandas géants, koalas, harpies féroces, lamantins, diables de Tasmanie, gorilles, orang outans… Ces dix dernières années, le ZooParc a connu un développement majeur, devenant ainsi un parc de renommée internationale. Afin de toujours faire rêver ses visiteurs davantage, le ZooParc de Beauval investit dans de spectaculaires installations comme le Dôme Equatorial en 2020 ou la Grande Volière Sud-Américaine en 2023.
Très engagé dans la conservation des espèces menacées, l’association Beauval Nature, créée en 2009, s’engage auprès de nombreux programmes de conservation et de recherche, notamment à travers la seule banque de semence d’éléphants au monde ou avec le vaste programme « Help Congo » en Afrique équatoriale.
À peine revenu d’Afrique, Rodolphe Delord, président-directeur général du ZooParc de Beauval nous confie un peu de sa vision du métier et des actions actuelles ou à venir au ZooParc de Beauval et à travers l’association Beauval Nature
Qui êtes vous, et quels sont vos animaux préféres?
Vous savez, je suis né au milieu des animaux. Ma mère avait plus de 300 oiseaux dans son appartement à Paris, et nous sommes arrivés à Saint Aignan en 1977, quand ma mère a quitté le showbiz parisien pour installer ses oiseaux à la campagne. J’ai toujours été passionné par les animaux, et élevais des poissons exotiques chez moi, puis des serpents, des tortues, des oiseaux, des canards. J’ai arrêté mes études à 16 ans pour aider ma mère à développer le parc zoologique en 1988. Le parc avait donc 8 ans (il a été créé en 1980). On recevait 40 000 visiteurs par an et il y avait seulement trois salariés.
Ça fait souvent rire mais mes animaux préférés sont certainement les canards.
Canards et canards exotiques, enfin tous les canards…
L’animal – au singulier – avec lequel vous entretenez ou avez entretenu une relation particulière ?
Mes chiens chez moi ! J’ai eu une girafe qui s’appelait « Joseph » qui est décédée il y a quelques années, avec qui j’avais vraiment une relation particulière.
Sinon malheureusement moi je suis maintenant davantage à distance des animaux, parce que mes fonctions font que je ne suis plus au quotidien auprès d’eux.
Vous savez dans les années 1990, c’étaient de très belles années, mes premiers singes, mes premiers fauves, je m’en occupais moi-même car il n’y avait pas de soigneur animalier à Beauval. Forcément en ce temps-là , c’était une autre époque. Je rentrais avec les tigres, les pumas, les léopards, les ours… Mais ce n’est plus ce que l’on fait aujourd’hui. Oui à l’époque, ça se faisait, c’étaient des contacts qui étaient même très privilégiés à l’époque. Mais aujourd’hui ce n’est plus ce que l’on recherche.
Des animaux absents en captivité, mais qui vous font rêver ?
Des panthères roses ? (rires)
Si vous voulez, il y a beaucoup d’animaux que j’aime aller voir dans le milieu naturel, mais que je n’aurais jamais l’occasion d’accueillir en parc, comme les nasiques, ou d’autres primates. Je vais prochainement retourner voir les gorilles des montagnes au Rwanda et en Ouganda : on n’accueillera jamais de gorilles des montagnes, mais j’aime bien les voir en milieu naturel.
En Ouganda, nous allons voir des becs-en-sabot. il y a peu de temps au Brésil, j’ai observé également des tatous géants, des animaux extraordinaires avec des griffes incroyables. J’aime aussi beaucoup les dauphins par exemple.
E
vènements marquants à Beauval, passés et à venir ?
Bien évidemment il y a eu les naissances des pandas, puis le départ l’été dernier de Yuan Meng (NDLR premier bébé panda né à Beauval en 2017) avec Brigitte Macron, ce sont toujours des évènements particuliers.
Il y a pour nous l’avant et l’après 2012, l’avant et après pandas géants. Les pandas nous ont donné l’accès à des moyens considérables et nous ont permis d’investir beaucoup ces dix dernières années : quatre nouveaux complexes hôteliers et de nombreuses nouvelles installations : la Réserve des hippopotames (2016), la Terre des lions (2017), les télécabines (2019), le Dôme Equatorial (2020), la Grande Volière (2023)…
On va continuer à évoluer dans le même sens : nous avons rénovés d’anciennes parties du parc ces dernières années, toutes les anciennes volières à oiseaux et à singes. On a aussi transformés les anciens parcs des lions, des fourmiliers il y a quelques mois, afin d’installer les pumas à leur place. À la place des pumas nous avons accueillis des servals saisis de chez des particuliers (NDLR avec l’association Tonga Terre d’Accueil) et à la place de l’ancien enclos des ours où les pumas avaient vécus pendant un moment, on a installés des caracals, eux aussi issus de saisies : c’est un peu un jeu de chaises musicales.
La réalisation de ces dernières années que je préfère est peut-être la Réserve des hippopotames. Mais il y a eu aussi le Dôme, la grande volière sud-américaine, et beaucoup d’autres dans le parc. Je crois que l’un de mes endroits préférés reste le spectacle d’oiseaux. Cela reste généralement la plus forte expérience à Beauval pour les visiteurs.
Cette année nous avons prévu des évènements particuliers mais qui ne sont pas forcément officiels. Nous organisons des conférences, notamment sur la conservation. L’une se tiendra en janvier 2024 avec Marc Ancrenaz du programme Hutan en Malaisie, où l’on présentera un film. On va accueillir des conférences régulièrement.
Cette année il n’y a pas de grande nouveauté, plein de petites choses, des travaux d’embellissement, de rénovation, toujours dans le même triptyque, pour le bien être des animaux, des collaborateurs et des visiteurs. On couvre notamment toutes les passerelles en bois du parc, 1 km à couvrir, pour que les passerelles ne pourrissent plus et pour abriter nos visiteurs.Â
Votre plus grande motivation dans votre travail ?
Il s’agit plutot d’une motivation globale : la passion avant tout. Si je fais ce métier, c’est d’abord parce que je suis passionné par les animaux, que je suis né dedans, et j’aime les animaux, sinon je ne ferais pas ce métier. Mais à part cela, j’aime bâtir, j’aime beaucoup construire, concevoir des installations et aussi faire rêver le public, même concevoir des hôtels. On réfléchit à d’autres projets d’hébergements dans l’avenir. Et puis travailler avec des gens extraordinaires : 1500 salariés à Beauval…
Je suis passionné, mais passionné par tout un tas d’autres choses. Un parc zoologique c’est une globalité, vous voyez. Le jour où la Ministre, Aurore Bergé (NDLR ministre des solidarités et des familles) m’a appelé la veille pour le lendemain pour savoir si je pouvais accueillir 5000 enfants du Secours Populaire qui devaient aller à la plage à Cabourg alors qu’ils annonçaient des tempêtes, et voir l’ensemble de ces enfants qui n’avaient jamais rien vu que le pied de leur tour en Seine-Saint-Denis, les yeux émerveillés de voir ces animaux extraordinaires ; ou quand on voit se balader des femmes, des enfants, des jeunes, que l’on fait rêver et que l’on inspire : c’est toute notre action.
Aujourd’hui, Beauval accueille deux millions de visiteurs par an, mais deux millions de visiteurs qui viennent de toute la France. On va commencer à communiquer à fond à Marseille, à Lyon, parce que nos affiches communiquent en national, mais surtout à Paris. Nous sommes devenus une destination. Récemment TripAdvisor nous a classé parmi 30 000 sites français et nous ont cité dans les 9 destinations préférées des français juste après le Louvre, la Tour Eiffel, et devant les grands parcs d’attractions
Que répondriez-vous à des gens qui diraient que Beauval est un zoo commercial ?
Ça dépend de ce que l’on entend par « commercial ». Il y a un peu une disproportion entre Beauval et les autres parcs parce qu’on réalise 50 % du chiffre d’affaires du secteur français à peu près, mais c’est vrai qu’on s’est développé, beaucoup et très vite. 60 % de nos visiteurs restent deux jours, 7 % des visiteurs restent une semaine, beaucoup restent trois, quatre jours, et 70 % de nos visiteurs ont un hébergement aux alentours à moins de dix kilomètres. Donc les gens viennent désormais en destination, et les visiteurs ont de toute façon besoin d’hébergements, d’hôtels, de restaurants, de boutiques, et viennent pour passer une journée complète comme dans un très grand parc de loisirs. Nombre de parcs zoologiques se visitent en deux heures, et sont loin de proposer la quantité de restaurants que nous avons. Néanmoins on manque encore de point de vente de nourriture malgré les 25 points de restauration que nous avons actuellement dans le parc.
Pour moi, c’est totalement compatible à partir du moment où ça ne nuit pas aux animaux. A côté, on peut aussi investir 3,2 millions d’euros dans « Beauval Nature », lever des fonds, pour passer à 5 millions d’euros dans les années futures, puis payer 1500 salariés, plus 2500 emplois induits sur le territoire. On a dans tout les cas, besoin de partie commerciale, que ce soient les restaurants, les boutiques, les hôtels etc.. Je ne vois donc aucun antagonisme.
Je ne sais plus combien nous avons de blocs sanitaires, mais on a 20 salariés rien que pour nettoyer les toilettes. Quand les visiteurs viennent, la première qualité d’établissement qu’ils remarquent est la propreté des sanitaires. Les visiteurs ont besoin de trouver des sanitaires assez proches les uns des autres, de pouvoir boire un café quand ils le souhaitent, de manger une glace quand ils le souhaitent… Le confort des visiteurs contribue à la bonne expérience de la visite du parc.
V
ous parlez beaucoup d’ « immersion ». Comment la définissez-vous ?
Je pense que les visiteurs ont besoin de vivre une expérience. Quand on crée une installation, il faut la concevoir pour les animaux, pour les soigneurs, pour les équipes et pour les visiteurs. C’est totalement compatible et indissociable et je pense que l’immersion du public dans des univers, ce sont des choses que le public attend aujourd’hui.
De mêler entre elles des espèces comme on l’a fait avec la Réserve des hippopotames, le Dôme Equatorial, les différentes serres, ou la Grande Volière cette année, je pense que c’est l’avenir. Arriver à faire cohabiter des oiseaux, des poissons, des mammifères, des amphibiens, des reptiles, permet de récréer de véritable univers animaliers. Le public vient chez nous pour rêver, pour passer un moment d’émerveillement. À travers, ce rêve et cette émotion, on se doit de lui transmettre, de sensibiliser à la conservation de la biodiversité. Je défend le fait que pour des enfants souvent urbains, déconnectés de la nature, les parcs zoologiques représentent leur premier contact avec le monde sauvage, pour apprendre à mieux le protéger.
Des parcs zoologiques qui vous inspirent ?
J’ai effectué une tournée des parcs américains au mois de juin, c’était très intéressant. Je pense que nous, parcs européens, avons des choses à envier aux parcs américains finalement. Les parcs américains ont vraiment évolués il y a une vingtaine d’années.
Il y a San Diego, par exemple, comme inspiration ou Leipzig en Allemagne qui a beaucoup évolué. Chester, notamment, éventuellement Singapour… Mais je pense qu’il n’y a pas de parc « parfait ». Je ne connais pas de parc vraiment « parfait ». Je pense que les parcs en Chine vont évoluer très vite, ils commencent déjà à évoluer et ça ne m’étonnerait pas qu’ils s’améliorent beaucoup en quelques années.
D
es souvenirs qui vous ont touché avec Beauval Nature, des accomplissements, réalisés ou souhaités ?
Vous savez, il y a eu la réintroduction des deux femelles gorilles au Gabon, l’une d’elle a eu un bébé là -bas dans la forêt, c’était quand même un grand moment.
L’année dernière j’ai fait un voyage assez agréable dans le Pantanal brésilien notamment pour les tatous géants, où j’ai eu l’occasion de manipuler, d’avoir dans mes bras un tatou géant afin de lui poser un GPS. J’étais aussi dans le Cerrado au Brésil pour un autre programme avec Arnaud Debiez concernant les fourmiliers géants. C’était un programme réellement incroyable.
Le premier programme de conservation que je suis allé voir, c’était il y a une quinzaine d’années : HUTAN à Bornéo.
On a deux programmes phares aujourd’hui : le Centre de Soin à la Faune Sauvage (NDLR mis en service au printemps 2023), c’est énorme, l’un des plus importants en France. Et aussi le programme Help Congo. J’étais donc au Congo jusqu’à lundi dernier (NDLR le 13 novembre). C’est vraiment un programme global, car il s’agit de 3500 hectares principalement, mais en réalité c’est beaucoup plus étendu autour.
Help Congo est un programme de réintroduction de chimpanzés : nous gérons donc un sanctuaire avec trois îles et une vingtaine de grands singes, dont une partie est destinée à être réintroduite. On a cartographié la forêt, posé 80 caméras dans la forêt, on en a posé dans les arbres, on est en train d’évaluer la faune, d’identifier chaque chimpanzé : les chimpanzés qui ont été réintroduits, et les autres, pour réaliser un trombinoscope et ainsi évaluer la population des chimpanzés ; pour trouver l’endroit le plus approprié pour réintroduire d’autres individus. On a un programme de conservation sur place qui nous a permis de redécouvrir les lamantins qu’on pensait disparus de là -bas. On est arrivé à identifier leur présence par différentes méthodes : par ADN environnemental, par des caméras sous-marines, puis on a fini par en voir (j’en ai vu un l’autre jour). Et actuellement, on a des chercheuses françaises qui font des thèses sur les lamantins pour étudier leurs activités afin de pouvoir mieux les protéger.
Toujours au Congo, nous avons mis en place un nouveau programme qui est extraordinaire. La Réserve inclus des plages de l’océan Atlantique. Au début on devait nettoyer 18 km de plages, finalement nous en avons nettoyé 36. Les plages étaient couvertes de plastiques, bouteilles plastiques, tongs et autres, alors que cinq espèces de tortues viennent pondre sur ces plages. Donc nous nous sommes dit « qu’est-ce qu’on fait ? », et on a trouvé une solution de recyclage du plastique à Pointe-Noire, et créé le programme Plages Propres Protégées (PPP), avec un chef de projet qui s’appelle Jean Parfait et qui est payé pour diriger le programme. Il a identifié trois villages, ces trois villages dont on salarie certaines personnes pour ramasser le plastique, et depuis un an on a nettoyé 36 kilomètres de plages, on a enlevé intégralement tout le plastique : il y en avait dans les dunes, il y en avait partout ; près de 800 kg de plastique chaque semaine. Ce plastique est trié, recyclé, et dans un an nous aurons fini de nettoyer toutes les plages. Maintenant on entretient les lieux tous les jours, on ramasse ce que la mer rapporte. C’est vraiment un magnifique projet parce que la contrepartie est : « toi, tu es payé pour nettoyer la place, et maintenant tu n’auras plus à braconner pour nourrir ta famille ». Ça marche vraiment bien et donc la population locale peut s’approprier ces plages et ces plages deviennent les leurs, ils sont fiers de leurs plages propres alors qu’auparavant, des plages couvertes de plastique ne généraient aucune vie. Autre point : moins de plastique a entraîné moins de moustiques. Parce que les bouteilles plastiques gardent l’eau et que les moustiques pondent dans ces bouteilles. Donc la population souffre moins des moustiques. Aujourd’hui les habitants sont fiers d’avoir retrouvé leur environnement.
On a aussi inauguré une école qu’on a construite au Congo… C’est vraiment un super programme. Pour nous ça représente tout de même 750 000 euros d’investissement par an, rien que sur ce programme. Beauval Nature représente 3,2 millions d’euros par an, et on aimerait passer à 5 millions. Je viens d’embaucher un directeur qui est un ancien de chez nous : notre ancien directeur vétérinaire Baptiste Mulot.
C
e qui vous donne de l’espoir pour l’avenir de la nature ?
Je pense que la nature est assez résiliante, donc à partir du moment où on la protège…Â
Mais il faut la protéger. Et rester optimiste, malgré tout.
Pour en savoir plus sur les avancées des programmes de conservation soutenus par Beauval Nature, et pour soutenir l’association, rendez-vous sur beauvalnature.org . Pour en apprendre davantage sur le programme Help Congo soutenu par Beauval Nature : help-congo.orgÂ
Â
Nous remercions Mr Rodophe Delord pour le temps accordé à cette interview.