Fondateur et directeur de la Réserve zoologique de Calviac au coeur du Périgord noir, Emmanuel Mouton nous parle de la genèse de son parc, de ses mentors, du choix des animaux de la Réserve, de la conservation des espèces menacées, et des projets d’avenir de la Réserve.
Réalisé le 5 septembre 2023.
Qui êtes-vous ?
Je m’appelle Emmanuel Mouton et j’ai créé la Réserve Zoologique de Calviac
Qu’est-ce que c’est la Réserve Zoologique de Calviac ?
C’est un parc zoologique qui se consacre essentiellement à la conservation des espèces menacées : son objectif principal est la conservation des petites et moyennes espèces menacées ; tous les fonds générés par les droits d’entrée, par les dons, ou tout autre moyen sont consacrés à la conservation.
Et donc, c’est cela la différence entre une réserve zoologique et un zoo ?
Il n’y a pas de différence véritable entre une « réserve zoologique » et un « zoo » puisque « zoo » c’est le diminutif de « jardin zoologique » ou « parc zoologique », donc « réserve zoologique », qui se veut davantage orienté vers la conservation. Mais l’appellation de « réserve zoologique » n’est pas du tout un terme protégé.
Est-ce que vous estimez que votre parc est différent ?
Différent, oui : d’abord de par son implantation géographique sur une colline, ce qui n’est pas forcément un accès aisé : très boisée, très naturelle, on est dans une zone très préservée. On a essayé de faire en sorte de préserver ce milieu au maximum. Et puis différent aussi dans le choix des espèces : ce ne sont pas des espèces très charismatiques, mais elles sont néanmoins très menacées.
Cet intérêt, cette passion, comment sont-elles venues ?
Pour être honnête, je n’ai pas souvenir d’avoir jamais eu le déclic de « vouloir faire » ce que je fais maintenant. C’est très ancien, aussi ancien que moi.
Comment choisissez-vous les animaux qui peuplent votre Réserve ?
C’était l’objet d’une étude que j’ai menée au zoo de Jersey, le parc qui m’a servi de modèle. À la fin de mon parcours au Muséum National d’Histoire Naturelle (*NDLR en tant que chef-animalier adjoint) j’ai effectué une formation à Jersey, et l’objectif était d’établir ce que l’on appelle un « plan de collection » : quelles espèces choisir et pourquoi ? On s’oriente évidemment vers l’accueil d’espèces menacées, mais là encore : quelles espèces et pourquoi ?
Je me suis vite focalisé autour de quelques zones géographiques précises, afin d’avoir une action qui soit la plus efficiente possible entre la conservation ex situ, en parcs zoologiques, et in situ, dans le milieu naturel, et que l’on ne se disperse pas trop. Et c’est ce que nous faisons actuellement, puisque nous travaillons en Nouvelle-Aquitaine pour le vison d’Europe, ainsi qu’à Madagascar pour le lémur aux yeux turquoise, et nous soutenons des programmes au Brésil pour la faune sud-américaine et au Népal disons pour la grande zone Eurasienne. Nous n’avons pas d’actions in situ en Océanie.
Ensuite il y avait une question de taille des animaux : des études qui ont été menées par Balmford, un zoologiste de Cambridge démontrent que plus l’espèce est petite, plus il devient efficient de la protéger en parc zoologique de manière ex situ. Par exemple, il est beaucoup plus efficace de protéger un éléphant dans le milieu naturel qu’en zoo. Alors qu’avec les petites espèces, cela devient souvent beaucoup plus facile de les reproduire, et moins coûteux. Donc il y avait la taille, essentiellement des petites et moyennes espèces, avec une cohérence géographique, des espèces menacées et un quatrième critère qui s’est ajouté aux autres et qui est lié à la géographie de Calviac : le couvert forestier. Nous accueillons essentiellement des espèces forestières, à quelques exceptions près. Un cinquième critère : nos espèces doivent faire partie de programmes d’élevage : nous n’allons pas initier de nouveaux programmes, quand tant de programmes d’élevage sont en demande de capacités d’accueil.
Des citations qui te guident et ta devise :
Les citations, vous pouvez en voir quelques unes lors de votre visite, ce sont celles qui m’ont orienté. Il y en a beaucoup… Evidemment il y a celles de Gerald Durrell. Ma devise, c’est celle de la Réserve, qui est très large : « Un futur pour la Nature », ça me plaît, même si maintenant on utilise beaucoup « le vivant » à la place de « la nature », mais je reste très attaché à ce terme de nature. Et au niveau des personnes qui m’ont influencé, il y a eu à la fois des scientifiques comme John Burroughs, un écrivain naturaliste américain, qui est un peu oublié mais qui était très populaire à son époque, à la fin du XIXème et au début du XXème siècle et qui est plus proche de la nature dite « ordinaire » c’est à dire celle qui nous entoure. En cela, il rejoint le naturaliste Jacques Bouillault, que j’ai connu quand j’étais enfant, adolescent et adulte. Par rapport aux autres citations, il y a des philosophes, il y a des écrivains, comme Hermann Hesse, il y a quelqu’un que j’aime beaucoup aussi c’est Albert Schweitzer, qui cumule plusieurs disciplines : médecine, théologie, musicologie… C’était un homme universel un peu à la manière de Léonard de Vinci. Ce sont des personnages admirables et dont on n’atteindra jamais une partie de ce qu’ils ont réalisé. Pour moi, ce sont des guides.
Il y a d’autres penseurs qui ne sont pas nécessairement sur le parcours de visite, notamment les Stoïciens. Et puis il y a quelqu’un d’autre qui m’a beaucoup marqué, finalement l’oeuvre la plus importante qu’il ait réalisé c’était presque sa propre vie, indissociable de toute son oeuvre musicale, artistique : c’est Georges Moustaki, il m’a beaucoup influencé. Il m’avait parrainé quand j’avais 19 ans et que je voyageais en Méditerranée Orientale. S’il y a vraiment trois personnes vraiment majeures qui m’ont influencé, ce sont Moustaki, Bouillault et Durrell, et bien-sûr beaucoup de lectures de gens que j’ai connus par les livres.
Des évènements qui ont marqué la Réserve :
La découverte de « Sous le Roc », il y a 18 ans tout juste, le 9 mai 2005, puis l’ouverture de la Réserve, le 3 août 2008. Un évènement très important pour moi c’était le 21 juin 2008 : mon panthéon personnel est venu à Calviac : Jacques Bouillault, Lee Durrell et Pierre Gay (NDLR directeur du Bioparc-zoo de Doué-la- Fontaine) : les trois étaient présents ce soir-là, donc toute mon enfance et toute mon adolescence étaient réunis dans le lieu que j’étais en train de créer. C’était une confrontation d’univers qui étaient très proches et qui se réunissaient pour moi, pour Calviac, ça c’est unique, et j’ai eu de la chance d’avoir pu le vivre. Plus tard, un autre événement très positif c’était l’arrivée en 2009 de Mylène Sannier, chef animalier de la Réserve. Il y a eu également la transformation de la Réserve en Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC), en 2015.
Des projets et des rêves pour la Réserve :
On a le double de terrain par rapport à la surface actuelle de la Réserve donc on peut s’étendre, développer la zone sud-américaine, et déplacer les tapirs. Un autre grand projet serait la création d’une serre malgache, ce qui serait une chose complètement nouvelle pour nous. D’abord au niveau zootechnique, on a actuellement des enclos très simples, très naturels, qui ne demandent pas de remanier le milieu existant. Là, avec ce projet, ce serait à nous de créer cette serre où cohabiteraient animaux et végétaux. C’est un milieu qu’il va falloir contrôler : les températures, le sol, l’hygrométrie, et ce n’est pas quelque chose dont nous avons l’habitude. Nous voulons quelque chose qui soit le moins énergivore possible et nous allons nous orienter vers le milieu tropical sec, occidental de Madagascar. Il y a la partie botanique que je souhaite développer, c’est un des grands axes pour les décennies à venir, que la Réserve zoologique devienne une Réserve zoologique et botanique, donc que l’on fasse de la conservation ex situ aussi pour les plantes. Et si je maintiens l’idée de cette serre, c’est qu’en allant à Madagascar, en voyant la vitesse de dégradation des habitats, je pense que ça peut être pertinent d’avoir cette conservation ex situ même si l’essentiel de la conservation est in situ, c’est là où tout se passe. Donc ce serait une reconstitution de la forêt de Sahamalaza, où nous intervenons dans l’un de nos programmes de conservation in situ. C’est une mosaïque de forêt humide et de forêt sèche, donc on peut avoir les deux et cela permettrait de créer un lien, un lien durable, entre nos visiteurs et Sahamalaza, de la même manière que ce que Zürich a fait avec la serre « Masoala » et le parc national de Masoala, évidemment à une échelle bien supérieure, avec une forêt tropicale humide cette fois-ci.
Il y a aussi d’autres micro-régions que j’aimerais aborder, c’est encore en cours, les Philippines, Célèbes, toujours avec des espèces parmi les plus menacées et qui font partie de programmes d’élevage.
Nous voulons aussi étoffer davantage l’équipe pour que nous puissions vraiment basculer d’un établissement ouvert au public à un établissement véritablement scientifique. Ce ne sont donc pas des choses qui rapportent véritablement de l’argent, mais qui coûtent davantage.
Avez-vous réalisé votre souhait concernant la Réserve ?
Partiellement. Et en réalité, ce sera toujours partiel. Finalement, quand peut-on dire que c’est un succès ? Même un programme de conservation : on reproduit l’espèce. Il faut que l’espèce se reproduise aussi ailleurs, dans d’autres structures, et si l’espèce est réintroduite, c’est un succès mais temporaire, puisqu’il faut que l’habitat soit préservé dans la durée, donc on est toujours dans un état de perpétuelle instabilité – C’est le principe de la vie en général -. Mais ce n’est que le début. Ce n’est pas tant l’extension physique de la Réserve, mais l’extension de l’action qui me plaît davantage.
À propos de Conservation :
C’est quelque chose de nécessaire, mais idéalement, et il ne s’agit pas là d’un jeu de l’esprit, je serais heureux s’il n’y avait pas eu besoin de créer cette Réserve zoologique. Si on me dit « il n’y a plus besoin de programmes d’élevage », en argumentant bien, c’est à dire que l’espèce est sauvée dans la nature, je ne vois aucune nouvelle raison d’existence de la Réserve. Moi c’est l’animal dans la nature qui m’intéresse. Donc, la conservation ex situ, ce qu’on fait nous, à Calviac, est toujours complémentaire de la conservation in situ, qui reste là où on doit principalement agir. Donc le parc zoologique est un moyen pour parvenir à faire de la conservation in situ. La conservation ex situ parfois peut-être très importante pour des espèces au seuil de l’extinction, c’est le cas par exemple du vison d’Europe, mais si elle n’est pas couplée à une action de terrain, tout cela est vain parce que pour moi la conservation se passe d’abord sur le terrain.
Comment voulez-vous que soit la Réserve ?
D’un point de vue organisationnel, c’est ce qui se passe là maintenant, c’est à dire un mode de gestion qui soit le plus horizontal possible. Ça c’est quelque chose qui m’importe beaucoup, c’est à dire que chacun ait son mot à dire. Il se trouve que chacun a un point de vue pertinent dans l’équipe actuelle, donc cela permet de progresser beaucoup.
Que la Réserve préserve au maximum le milieu, le lieu, le lieu-dit de « Sous le Roc », au niveau du milieu naturel mais aussi au niveau architectural.
J’aimerais un degré d’action beaucoup plus important. Le but n’est pas d’être un parc zoologique qui fasse plaisir à son créateur. Et qui se balade tous les soirs dans son parc – c’est mon cas -, en étant satisfait de voir des animaux. Il faut que cela aille au-delà de ça, sinon cela ne justifie pas pleinement la captivité des animaux.
D’arriver à sensibiliser le plus de personnes à la cause d’espèces animales mais aussi végétales qui ne sont souvent pas du tout prises en considération parce qu’elles n’ont pas le charisme des premiers de la classe : ils ne sont ni beaux, ni attractifs, ni forcément premiers de la classe mais ils ont le droit d’être pris en considération et en plus, quand on les connaît bien, on s’aperçoit qu’ils ont plein d’autres qualités qui ne sont pas forcément visibles du premier coup d’oeil. Les bettongies par exemple, ça peut être très beau, ça peut être très mignon. Il faut juste prendre le temps, le temps de l’observer, d’attendre la fin de la journée souvent, même si parfois elle est visible dans la journée.
Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir pour l’avenir ?
Il y a des moments où je suis complètement désespéré. Totalement. À Madagascar, j’étais désespéré. Des zones que j’avais connu boisées, on ne reconnaissait plus rien. Dans ce cas, ça ne donne pas beaucoup d’espoir, car le rapport de forces est totalement déséquilibré. Notre action, nous, regroupement de parcs zoologiques, réussit à maintenir cette poche de forêt et les espèces qui y vivent, notamment le lémur aux yeux turquoise en danger critique d’extinction : oui, c’est positif. Il faut mesurer son action à ce qu’on peut effectivement faire, et essayer de progresser mais le rapport de forces est plus que déséquilibré : sans commune mesure. Richard Lewis, qui dirige le programme de conservation du Durrell Wildlife Conservation Trust à Madagascar, et à qui je posais la même question lorsque je n’étais pas très optimiste me disait « ce qu’on fait, ce sont des pansements. Des pansements alors qu’il y a presque un cancer généralisé ». Donc oui, ce sont des petits pansements, mais qui sont utiles. Évidemment les actions individuelles c’est bien, c’est très bien, ce n’est pas tout à fait individuel d’ailleurs, c’est collectif parce que ça concerne une partie de la population, mais si les gouvernements ne suivent pas, l’action est bien moindre, bien qu’elle ne soit pas perdue.
Mais, ce qui me donne beaucoup d’espoir, c’est quand je lis les récits de la Résistance, notamment ceux d’Edgar Morin, où le rapport de forces était tellement déséquilibré qu’il n’était même pas question en 1940, 1941 qu’il puisse y avoir une bascule à un moment. Mais cette bascule a eue lieu. Et ce sont ces toutes petites actions, qui pouvaient paraître vaines et pour lesquelles on risquait beaucoup, additionnées les unes aux autres – en plus bien-sûr d’autres facteurs comme l’entrée en guerre des Etats-Unis – qui ont permis de changer la donne.
Et pourtant tout laissait penser en 1941 que l’Europe devienne nazie. Quatre ans plus tard c’était la fin.
Donc il y a des cas historiques où certains gardent l’espoir alors que les évènements laissent à penser que tout est impossible. Mais cela fait tellement longtemps qu’on est dans ce système destructeur de biodiversité qu’il faut vraiment une prise de conscience globale, au moins une prise de conscience d’un grand pays pour qu’il y ait cette bascule.
Pour approfondir, un livre par Emmanuel Mouton est en cours d’écriture, qui parlera davantage de la Réserve, de ses projets, de ses souhaits et de la conception du parc, « Sous le Roc ».