Interview d'Alexandre Petry
Directeur zoologique du Parc de Branféré
Faire cohabiter des espèces exotiques à Branféré ? L’idée naît en Inde dès les années 30. Inspirés par un Maharadjah qui s’entoure d’animaux en liberté, Paul et Hélène Jourde, fondateurs du parc, créent à leur tour un paradis terrestre, fidèle à l’idéal bouddhiste d’harmonie entre l’homme et la nature.
Aujourd’hui, le parc et son directeur zoologique, perpétue ce concept fondateur, pour offrir aux animaux les meilleures conditions de vie, dans de grands espaces et en semi- liberté, avec un objectif de reproduction, de préservation de la diversité génétique et de réintroduction en milieu naturel.
Pouvez-vous vous présenter et nous indiquer votre cursus scolaire ?
Je suis Alexandre Petry, directeur zoologique et scientifique du Parc de Branféré dans le Morbihan. Je suis éthologue c’est-à-dire spécialiste du comportement. J’ai appris cette discipline scientifique lors d’un Master Appliqué que j’ai réalisé à l’Université Paris Nord – Sorbonne entre 2013 et 2015. Avant cela j’ai fait une Licence de Psychophysiologie dans cette même université car c’était le cursus conseillé. J’ai réalisé ces études car pour moi c’était l’option la plus idéale pour accéder à un poste dans un parc zoologique. J’ai pour vocation depuis mon adolescence de participer à la conservation de la biodiversité en participant à la gestion des animaux en parc zoologique à la fois sur l’aspect bien-être animal et sur la pertinence éducative de leur présentation au public.
C
ette passion, comment est-elle venue ?
Originaire de la campagne, j’ai depuis toujours été familier avec la nature et un jour mes grands-parents m’ont emmené visiter un parc zoologique. Et je crois que c’est à partir de ce jour là où la passion des animaux sauvages m’a piqué. Très vite, je me suis intéressé à tout ce qui était en lien avec les animaux en parc zoologique : quels effectifs dans quels parcs ? quelles sont les espèces les plus rares ? comment fonctionnent les programmes d’élevage ? quels rôles jouent les parcs dans la conservation ? Je me suis donc beaucoup renseigné, de façon un peu « obsessionnelle », en lisant beaucoup, consultant des sites internet, des forums et aussi en visitant le plus d’institutions possibles. J’ai eu la chance de visiter de nombreux parcs zoologiques en France, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et en Espagne avant même de commencer mes études. Ces visites restent toujours des sources d’inspiration pour mon travail au quotidien et certains des contacts de l’époque sont toujours des relations régulières.
P
ouvez-vous nous indiquer vos expériences zoologiques ?
Au cours de mes études, j’ai eu l’opportunité d’effectuer différents stages dans différentes structures, au Spaycific’Zoo, au Thoiry ZooSafari, à la Ménagerie du Jardin des plantes et à Planète Sauvage à la fois en tant qu’animateur pédagogique, étudiant éthologue ou assistant curateur. A la suite de mon stage de fin d’étude à Planète Sauvage, j’ai pu obtenir un premier contrat en tant qu’assistant responsable animalier, éthologue et chargé de conservation. Progressivement j’ai gagné en responsabilité et me suis vu attribuer de nouvelles tâches notamment en lien avec la sécurité et la gestion de l’équipe. Après plusieurs années, j’ai eu l’opportunité de poursuivre mon parcours au Parc zoologique et botanique de Mulhouse en tant que responsable animalier et welfare manager, position passionnante à mi-parcours entre la gestion humaine et le bien-être des animaux. Après près de 3 ans, un poste s’est libéré au Parc de Branféré et j’ai décidé de tenter cette nouvelle aventure.
E
n tant que directeur zoologique, quel est votre rôle au sein du parc ?
Au Parc de Branféré, l’équipe de direction est divisée en 3 pôles rattachés au directeur général : une direction Education, une direction Commerciale et une direction Zoologique. Je suis à la tête de cette dernière direction qui rassemble l’ensemble des activités en lien avec les animaux. Ainsi, je supervise les activités des soigneurs animaliers, des vétérinaires mais aussi des agents animaliers (cuisiniers, techniciens d’approvisionnement). J’ai aussi à ma charge la gestion du cheptel c’est-à-dire les échanges d’animaux avec les autres parcs, les interactions avec les programmes d’élevage, le suivi réglementaire etc. Désigné capacitaire pour l’ensemble des animaux du parc, je suis aussi responsable de l’intégrité des structures, du bien-être des animaux et de la sécurité des visiteurs. C’est aussi dans ce cadre que je participe à la conception des nouvelles installations en lien avec le service technique du Parc.
Dans le cadre de cette fonction, je fais aussi le lien avec les autres services du parc comme l’éducation, le commercial, les ressources humaines ou la communication. C’est essentiel de pouvoir se coordonner afin d’offrir aux visiteurs les meilleures conditions de découverte des animaux. Cela implique de nombreux échanges téléphoniques, de mails ou en réunion.
Enfin, j’ai sous ma responsabilité les missions scientifiques du Parc de Branféré à la fois sur les sujets de conservation ou sur les programmes de recherche. Ainsi, je coordonne le programme d’élevage des canards à ailes blanches et je suis en lien avec les différentes ONG de conservation in-situ et avec les universités et les organismes de recherche.
A
votre avis, qu’est-ce qui différencie Branféré, des autres parcs zoologiques que l’on peut visiter en France ?
Ce qui est unique quand on arrive au Parc de Branféré c’est l’ambiance qui se dégage du lieu. A chaque endroit du parc, il y a des micro-habitats, des senteurs, des ambiances sonores. Les différents aménagements qui ont été réalisés depuis les années 50 d’abord par les fondateurs Paul et Hélène Jourde puis par les équipes plus récentes sous l’égide de la Fondation de France en font un lieu unique qui se prête particulièrement à la présentation des animaux. Nous avons la chance de pouvoir offrir de très grands espaces à nos espèces par l’intermédiaire d’enclos multi-spécifiques naturels avec des grands arbres ou de larges prairies. La notion de semi-liberté permet aussi de créer des points de rencontre entre les visiteurs et les animaux, autant de moments qui suscitent une prise de conscience. Un visiteur qui aura la chance d’approcher une femelle wallaby avec un petit en poche sera plus facilement accessible pour recevoir des messages pédagogiques.
A
vez-vous une espèce ou une famille qui vous intéresse, et plus particulièrement à Branféré ?
Je suis un peu touche à tout et c’est ce qui me plait dans mon poste actuel. Je peux être en début de matinée à observer des comportements reproducteurs chez des flamants et être quelques minutes plus tard en train de converser avec les soigneurs des herbivores pour déterminer la hauteur d’un enrichissement. Ce qui est intéressant c’est vraiment de pouvoir réunir des espèces menacées avec un but conservatoire en toile de fond que ce soit in ou ex-situ. A Branféré je dois dire que chacune des 150 espèces m’intéresse même si certaines devront être remplacées en raison de choix en faveur du mode de présentation ou du statut de conservation.
D
ans le futur, dans quelle direction voulez-vous amenez la collection zoologique du parc ?
Nous travaillons actuellement sur un masterplan à 2030 avec les membres de l’équipe de direction. En effet, le premier plan de développement et rénovation arrive à son terme et nous sommes au début d’un nouveau cycle. Ainsi, le parc va continuer de se concentrer sur les espèces avec un fort enjeux conservatoire et une forte valeur éducative. Le Parc de Branféré est un héritage de la passion de Paul et Hélène Jourde qui ont créé le parc dans les années 60 avec l’envie de faire coexister animaux, végétaux et êtres humains. Nous allons continuer à faire vivre cette philosophie en choisissant des espèces adaptées aux micro-habitats existants sur le domaine tout en répondant aux ambitions que doivent être celles d’un parc zoologique de notre époque. Cette année, la zone des Archipels va recevoir une nouvelle espèce, en effet nous allons prochainement accueillir un trio de langurs de Java, une espèce hautement menacée par la déforestation. Les grands singes ou les éléphants ne sont toujours pas dans les plans mais pourquoi pas davantage de primates sud-américains par exemple.
L
a saison 2024 va bientôt commencer. Pouvez vous nous indiquer ce qui est prévu en termes de prochains aménagements et d’animations sur le parc ?
Nous avons un gros projet qui nous tient vraiment à cœur et sur lequel le parc travaille depuis plusieurs années. Il s’agit de la construction d’une volière scientifique à proximité de la plaine africaine. En partenariat avec des universitaires, cette installation permettra d’observer le comportement de certaines espèces d’oiseaux dans une finalité de conservation. Une partie de cette volière sera visible du public qui pourra en apprendre plus sur ce projet. Et pour ce qui est du peuplement, on y trouvera des espèces migratrices entre l’Europe et l’Afrique comme la sarcelle marbrée, l’avocette élégante, la spatule blanche et bien d’autres encore !
Mais l’année 2024 est surtout accès sur l’amélioration de certains espaces dans le but d’améliorer la qualité de vie des animaux mais aussi la visite de notre public. Ainsi, nous sommes en train de créer un deuxième enclos pour nos pandas roux car actuellement ils n’en ont qu’un comme cela se faisait à l’époque. Maintenant, les couples de pandas n’ont pas toujours la recommandation de se reproduire et il est parfois nécessaire de pouvoir les séparer pendant la saison de reproduction, cela permet de ne pas poser d’implant contraceptif sur le mâle ou la femelle. Et puis, cela va augmenter leur surface d’évolution et les visiteurs pourront les observer avec un nouvel angle ! Les équipes sont aussi en action au niveau de l’Espace Marin qui sera transformé dans les mois qui arrivent. L’objectif ici est de reconnecté cet espace avec le reste du parc en dédiant toute la superficie à notre colonie de manchots de Humboldt qui s’agrandi d’année en année, l’Espace Marin deviendra en effet un espace d’immersion avec les manchots et d’autres oiseaux sud-américains.
Avec les soigneurs des oiseaux nous sommes également en train de préparer une nouvelle formule pour les spectacles d’oiseaux, ainsi les visiteurs pourront découvrir 2 spectacles différents, le premier qui est notre spectacle d’oiseaux en vol libre qui sera légèrement modifié et le second qui sera plutôt accès sur les particularités surprenantes des oiseaux, toujours en vol libre mais avec des espèces que l’on avait moins l’habitude de voir. Il y aura aussi d’autres surprises avec les oiseaux du spectacle, mais pour cela il faudra ouvrir grands les yeux et les oreilles !
P
our l’ensemble des parcs zoologiques, la conservation en milieu naturel est devenue importante. Le parc travaille-t-il actuellement avec des associations ou des organismes qui œuvrent dans le milieu naturel ?
C’est en effet notre priorité et au-delà de faire la distinction entre la conservation ex-situ et in-situ, il est important d’imaginer que nous ne faisons qu’un. Avec le One-plan approach, l’objectif est de développer les connexions entre les associations de conservation, les organismes gouvernementaux et les parcs zoologiques. Pour moi, chaque animal qui est présent au Parc de Branféré doit être le relais de ses congénères à l’état sauvage. Ainsi, nous essayons de soutenir des actions aux 4 coins de la planète en lien avec les espèces hébergées au parc. Par exemple, pour le panda roux nous soutenons les actions du Red Panda Network qui permet de protéger le célèbre petit carnivore mais aussi l’ensemble des espèces qui partagent son écosystème. Actuellement nous soutenons 13 projets de conservation avec des thématiques très différentes les uns des autres.
Cette année est particulière puisqu’avec les différentes naissances exceptionnelles que nous avons pu avoir comme celle du rhinocéros indien ou du siamang, nous avons à notre disposition de nouveaux ambassadeurs sur lesquels les éducateurs s’appuieront pour relayer nos messages de conservation. Cette année encore, le programme des weekends thématiques est bien rempli : focus sur les espèces locales, manchots ou même la course des oryx, il y en a pour tous les gouts ! https://parc.branfere.com/preparer-sa-visite/agenda-2024-branfere/
A
llez-vous développer la conservation in-situ, en vous impliquant plus dans des programmes de sauvegarde en milieu naturel comme on a pu le voir en décembre en Afrique du Nord ?
Comme je le disais précédemment l’objectif est que le Parc de Branféré illustre nos actions pour la conservation des espèces. Nous allons connectés chacun de nos nouveaux aménagements avec un projet in-situ.
L’exemple de la Tunisie est spécifique puisque nous entretenons une histoire singulière avec l’oryx algazelle qui était l’une des premières espèces en EEP accueillies au Parc au début des années 90. En plus de notre soutien financier depuis plusieurs années, on voulait vraiment apporter notre soutien humain à ce projet. Ces quelques jours sur le terrain avec la responsable du projet de Marwell Wildlife ont permis de faire émerger différentes problématiques auxquelles le programme fait face depuis plusieurs années. Notre collaboration va se poursuivre dans les mois et années à venir avec un nouvel axe qui nous parait très important et qui sera essentiel pour l’avenir des oryx et des autres espèces (addax, autruches à cou rouge, gazelles leptocères et dorcas) en Tunisie.
S
ur l’ensemble des espèces qui sont actuellement présentées au parc, est ce que l’une pourrait faire l’objet d’un rapprochement avec une organisation qui œuvre à sa protection dans le milieu naturel ?
Nous sommes en contact avec le Wildlife Trust of India qui comme son nom l’indique se concentre sur la faune indienne depuis plus de 20 ans. L’année dernière, cette ONG a publié une stratégie de conservation très prometteuse en faveur du canard à ailes blanches. Cette espèce est hébergée depuis 1998 au Parc de Branféré et après avoir reçu un nouveau couple il y a quelques années nous reproduisons régulièrement l’espèce depuis 2018. Je coordonne l’EAZA Ex-situ Programme (EEP) depuis septembre 2023. En plus de garantir la gestion de l’espèce dans les parcs zoologiques européens, je trouve essentiel de faire le lien avec un projet de conservation sur le terrain. Nous sommes en train de planifier quelle est l’aide à mettre en place pour que cela soit le plus efficient possible. Même si l’espèce se porte plutôt bien en parc, la situation dans le milieu naturel est dramatique. L’IUCN est actuellement en train de réévaluer son statut car le déclin est très rapide.
Remerciements à Alexandre Petry pour le temps accordé et au service communication du zoo.